La petite Arménie : un paysage urbain marqué par la communauté arménienne.
Alfortville, la ville du Val-de-Marne dénombre aujourd’hui près de 7.000 à 9.000 membres pour plus de 45.000 habitants dans sa communauté arménienne.
La naissance de cette communauté commence dès 1912 avec des premières familles arméniennes qui décident de s’installer à Alfortville. Aujourd’hui, près de 600 000 Arméniens vivent en France dont 400 000 sont nés en France (2011 Comité de Défense de la Cause Arménienne). Ils sont regroupés autour de trois zones géographiques : la région parisienne, la région marseillaise et la région lyonnaise. La ville d’Alfortville, surnommée la « petite Arménie » est la plus représentative.
L’origine de l’immigration arménienne
Historiquement, l’Arménie tisse des liens très tôt avec la France notamment avec un appui lors des premières croisades ou le règne au XIVe siècle des barons français de Lusignan sur l’Arménie. Ils ont commencé à être attirés par la France et à transmettre leur culture et leur savoir-faire dès le XVème siècle avec la présence de marchands Arméniens sur le port de Marseille. En découlera « le port franc de Marseille des Arméniens » crée en 1669 par Jean-Baptiste Colbert.
Une légende raconte que l’arrivée des Arméniens à Alfortville débute avec 6 réfugiés provenant du village turc de Tchenguiler, venus à Marseille en 1923 pour trouver un emploi et fuir les difficultés de vie, économiques et politiques de leur pays. En effet, l’annexion d’une partie du territoire arménien par l’empire ottoman au XVIIe siècle est le point de départ d’une longue série de massacres qui aboutit au début de notre siècle à l’extermination des Arméniens de Turquie. La communauté arménienne d’Alfortville se constitue à partir de 1916, suite à l’exil forcé de la population devant le génocide Arméniens de 1915. Un certain nombre d’Arméniens décide de rejoindre le territoire français notamment Marseille ou les bassins d’emplois comme la cité ouvrière située au confluent de la Seine et de la Marne.
L’accueil des arméniens à Alfortville
A Alfortville deux grandes entreprises embauchent la main d’œuvre arménienne : la Papeterie de France et la société Bi-Métal. D’autres industries en plein essor suivent comme Citroën, la cartoucherie Gévélot, la société Chausson, la blanchisserie de Grenelle, la Gadoue, usine Louis Renault, Tubes, les Biscuiteries.
Les familles et les proches suivent le mouvement dont la plupart travailleront au même endroit. Ainsi en 1921 on comptait près de 10 Arméniens contre 476 en 1926. De plus en plus de maires socialistes et communistes vont leur ouvrir les bras dont le maire d’Alfortville de cette époque. En 1926, la communauté arménienne aux côtés des autorités locales et des autochtones fonde la section de la Fédération révolutionnaire arménienne (FRA), une organisation humanitaire, la Croix-Bleue, et le premier club sportif de la ville, l’Union de la jeunesse arménienne. Ils représentent un pôle de rassemblement communautaire et les arméniens en transit ou en voyage se dirige vers ces lieux où réside un parent proche ou un ami. Ils sont fidèles à leurs valeurs identitaires. Ils appellent les français les « kaghiatsi ».
Ainsi, le quartier appelé île Saint-Pierre est investi et sera considérée comme la « nouvelle Arménie ». L’île Saint Pierre à Alfortville est formée de marécages et est investie progressivement par la communauté arménienne au cours de la période 1920-1927.
L’île était à l’origine sans eau, sans électricité et sans assainissement. Ils vont ainsi construire sur un lieu insalubre des baraquements de tôles ondulées et de bois qui inquiètent la municipalité notamment au niveau sanitaire. Les conditions de vie au début sont difficiles sur ce territoire et plusieurs pionniers décèdent suite à un manque d’hygiène et donc aux maladies qui s’y développent (tuberculose, typhoïde).
La culture arménienne s’intègre dans la ville
Plusieurs constructions suivront comme en 1930 avec l’église apostolique Sourp-Boghos-Bedros (Saint-Pierre-et-Saint-Paul) dont l’architecture délicate rappelle celle des églises d’Arménie. On y pratique le culte dit de l’Église grégorienne, dont le chef spirituel est le catholicos.
La construction va se poursuivre avec l’école maternelle Sourp-Mesrop, rue Komitas (Komitas fait référence au compositeur et musicien arménien mort en France en 1935). En février 1930, l’adoption du plan d’urbanisme de l’île Saint Pierre transforme ce territoire exposé à l’eau et la boue et surtout aux catastrophes des inondations en un lieu intégré à la vie communale avec de l’eau potable, du gaz, de l’électricité, de l’éclairage, une voirie. Les arméniens apportent tout leur soutien. L’île constitue ainsi le cœur communautaire.
Alfortville s’arrêtait avant à la place Carnot, le reste étant des maraîchers et des marais, mais les Arméniens demandent des terres et obtiennent le droit de récupérer les terres « vides » au sud. Tout un village communautaire va naître ne cessant d’attirer de plus en plus d’arméniens. On compte alors 1800 arméniens en 1931 et 3000 (!) en 1939. Alfortville est désormais dénommée Armenville dans ces années-là. Ils vont par la suite développer un certain nombre d’associations de nature politique, culturelle ou religieuse.
Le quartier sud est formé de petites rues nommé Haïastan. Du côté arrière vers las Alouettes, les arméniens investissent cinq bâtiments et se répartissent en fonction de leur provenance géographique. Ceux de Turquie occupent à partir de 1974 des logements entiers sur un même étage. Puis ils montent plus loin vers le Nord, près du marché place Carnot (aujourd’hui place Achtarak). Dans l’axe principal Paul Vaillant Couturier ou dans la rue Roger-Girodit, une maison sur trois est arménienne. Aujourd’hui, c’est un territoire réinvesti. Désormais français de fait et de cœur, les Arméniens d’Alfortville ont largement contribué au développement économique de la ville tout en maintenant vivace l’usage de la langue et des traditions culturelles ancestrales.
En 1932, la loi Laval est installée afin de fixer à 10% la proportion d’immigrés travaillant dans les usines. Les Arméniens y sont favorables et vont travailler davantage dans des métiers traditionnels c’est-à-dire le commerce, l’artisanat et la confection. Certains vont se lancer dans des entreprises familiales notamment la confection de vêtements à domicile. A la suite de la Seconde Guerre Mondiale, l’Union Soviétique appelle aux Arméniens de rejoindre leur pays mais un grand nombre décide de rester là où ils ont créé leur nouvelle vie depuis plusieurs années, à Alfortville.
La communauté arménienne encore très présente aujourd’hui
Dans le quartier dit la petite « Arménie », la communauté partage au quotidien notamment à travers l’Association de la Maison Arménienne Culturelle et Artistique d’Alfortville créée en 1970 dans le but de promouvoir et diffuser la culture arménienne. Grâce au jumelage entre les villes d’Achtarak et d’Alfortville, la diffusion de la culture arménienne se perpétue.
Une commémoration arménienne s’organise tous les ans le 24 avril. On y trouve une succession de tableaux disposés le long d’un parcours qui vise les lieux de recueillement. Une messe a lieu à l’église Saint Mestop (où l’on fête également le Noël arménien le 6 janvier) suivie d’un défilé derrière les enfants de l’école, les scouts du Homénetmen et les jeunes de l’UJA (Union de la Jeunesse Arménienne, club de football de 1936) jusqu’au monument Khatchkar de la place Carnot.
La Maison Arménienne Culturelle et Artistique (MCA) est un symbole de la cohésion et de la pérennité identitaire. Elle est chargée de promouvoir la culture arménienne aux enfants et adultes à travers des activités innovantes et variées pour transmettre la culture : danse, langue, musique, cours de civilisation. Déclarée officiellement en 1970, la MCA fait rayonner la culture arménienne dans toute la région parisienne.