Comment l’immigration italienne a façonné Nogent-sur-Marne…
Malgré le manque de marquages laissant penser à la présence d’italiens aujourd’hui, le Nogent italien a bel et bien existé. En effet, l’immigration italienne a permis de façonner une grande partie de la ville actuelle et est emblématique de l’intégration italienne en France. Cette immigration atypique à l’échelle de Nogent-Sur-Marne s’est déroulée en quatre cycles d’immigrations principaux : 1870-1896, 1900-1914, 1920-1939, et 1954-1968.
L’immigration italienne à Nogent
La légende tenue par les Italiens qui se sont installés à Nogent raconte « qu’ils sont venus pour la construction du viaduc et qu’ils y sont restés », or aucune source ne peut affirmer cette thèse car les travaux du viaduc ont commencé bien avant 1855 et on ne recense aucun italien avant 1861. Par ailleurs et suite au recensement de 1866, on voit le nombre d’italiens passer de 3 à 67 à Nogent. Ici démarre le premier cycle d’immigration que l’on croise avec la mise en place en 1859 du train de la Bastille que l‘on peut prendre tout près de la Gare de Lyon et qui propose une voie facile vers Nogent-Sur-Marne.
L’histoire de la commune démarre ainsi avec l’arrivée de la communauté italienne. En 1872, la première immigration amène près de 96 hommes sur 113 recensés, parmi eux on compte plus de 82% d’hommes entre 15 et 45 ans. Ces derniers vont être embauchés en très grande partie dans le domaine du bâtiment et des produits chimiques, notamment dans les usines locales comme Les frères Nessi (suisses et italophones) qui installent une usine de fabrication de chaudières, ou encore « l’usine de bleu » crée en 1830 et usine de radium crée en 1904. Cette industrialisation amène un développement plus moderne en banlieue, en partie dû à des terrains bon marchés.
Peu à peu, les entreprises nogentaises commencent à être connues dans l’immigration italo-parisienne et Nogent fait figure de pôle pour toute la région Est.
Les italiens sont aussi une des premières communautés à prendre place du côté de Choisy et Ivry notamment avec l’usine Padroni qui recrutent les enfants.
Une communauté organisée
La particularité de l’immigration italienne à Nogent est l’organisation par le logement, qui a favorisé la croissance de la communauté. En effet, elle se traduit par une concentration résidentielle autour de la Grande Rue et autour de la Mairie. Cette concentration puissante et durable des italiens dans le centre-ville donne une ségrégation unique en son genre. On compte trois logeurs italiens qui abritent dans des maisons vigneronnes vieillissantes près de la moitié de la colonie : le plus important au 131 Grande Rue (21 locataires chez Martini), les deux autres sont dans petites rues et impasses comme l’îlot de l’impasse des Pains et l’impasse Nugues.
Ces logeurs sont les pionniers de l’installation familiale, on compte quatre grandes familles en 1872, trois d’entre elles sont celles des logeurs. C’est ainsi que les Italiens investissent le centre historique de la ville, les impasses et ruelles qui talonnent la grande rue notamment à l’est de la place du marché, et se développent vers les rues Carreau, Saint-Anne et Paul Bert. Plus tard, on distinguera un prolongement vers la rue Charles VII et la rue Pasteur. La communauté s’agrandit de jour en jour avec l’arrivée des proches et des familles, les logeurs sont complets comme au 147 grande rue, 42 locataires italiens vivent chez Catherine Cavanna, famille pionnière.
Nogent reconstitue l’histoire d’un village de montagne italien. La communauté vient principalement de Ferriere et de Rocca où économie rurale est aléatoire ce qui nécessite la pratique d’activités de complément comme l’exploitation de mines, les transports et le commerce. L’économie y est variable et au 19ème siècle une crise de longue durée marque Ferrière ce qui se traduit par un déclin des mines, une restriction des usages de forêts, des impôts plus lourds. Ils choisissent l’émigration vers la région parisienne pour maintenir l’économie villageoise suite aux conséquences de l’unité italienne et de la modernisation, d’autant plus que la vie nogentaise par rapport à d’autres régions parisiennes favorise la cohésion communautaire.
De l’agriculture à l’usine, l’adaptation des travailleurs immigrés et l’essor des commerces italiens
Nogent-Sur-Marne, une des communes les moins populaires de l’est parisien, possédait à l’Epoque Moderne une agriculture spécialisée, des campagnes boisées, des plateaux sédimentaires riches en matériau de construction. C’est un véritable territoire à potentiel pour les italiens notamment en culture de la vigne. En effet, en 1895, Fontenay-sous-Bois possède le vignoble le plus étendu de la région. Nogent est donc un village de vignerons qui se traduit au centre-ville par des maisons à étages qui séparent la cave en contrebas de l’habitation.
L’association La Lyre Garibaldienne Nogentaise est créée en 1899, une des toutes premières sociétés de secours mutuel de Nogent qui permet aux italiens de démontrer leur attachement à la France.
En 1901, trois maçons de Ferriere décident de créer leurs propres entreprises dans le bâtiment, domaine délaissé par les nogentais alors que les besoins sont en constante demande. Le secteur occupe à cette époque 70% des travailleurs italiens nogentais. Les entreprises se partagent en deux spécialités : la maçonnerie et la fumisterie.
Les femmes seront employées en tant que blanchisseuses et plumassières, à l’Usine de plumes Duflot par exemple où l’on compte autant d’employées d’origines françaises et d’origines italiennes.
Les Italiens s’installent et donnent vie à Nogent, ils développent par la suite le commerce communautaire avec des épiceries et hôtels comme celui de André et Marie Cavanna, futur Grand Cavana, à l’impasse Nugues en 1911. C’est ainsi que la croissance de la communauté dessine la ville de Nogent. Elle se transforme par l’alignements des rues, l’édification des écoles ou encore la construction d’une nouvelle mairie. De manière générale, tous sont construits par des entreprises italiennes comme plusieurs immeubles de 4 ou 5 étages dont le 3 rue Saint-Anne et le grand immeuble Imbuti au 11 rue Lafaulotte (aujourd’hui rue de l’abbé Guilleminault). Dans les rues en face de la mairie on retrouve également des pavillons individuels réalisés par l’entreprise Dusio.
Une culture bien ancrée dans la ville
En 1926, près de 1500 italiens se pressent au cœur de la ville, le groupe du Val Nure (Ferriere et Rocca) étant toujours en tête avec 40% des italiens. La Rue saint Anne est à elle seule italienne à 80%. Nogent Sur Marne concentre la deuxième colonie italienne de toute la seine banlieue juste après Saint-Denis.
Tous cet aménagement s’accompagne d’une culture festive avec les fameux bals italiens de Nogent qui sont les plus réputés du secteur. L’accordéon italien anime toutes les guiguettes au bord de marne comme chez Pianetti ou chez Grand Cavanna. Le Grand Cavanna fait figure de bal des familles mais aussi un lieu de rencontre et d’accueil, c’est le cœur du Nogent italien entre deux guerres. Un véritable réseau de bal musette se développe partout sur les bords de Marne, on y joue aussi à la « mora » ou aux cartes italiennes. Il n’y a pas de contradiction entre le sentiment de communauté et l’affirmation d’une identité nogentaise.
Les deux guerres mondiales provoquent des déplacements mais à Nogent on retrouve en 1945 presque 70% de la population d’origine présente en 1936. Le bâtiment italien prospère toujours à Nogent mais avec des patrons venus d’ailleurs et des ouvriers venus de l’Apennin ou d’Espagne et d’Algérie.
Une des dernières vagues d’afflux arrive entre 1957 et 1958 surtout et s’installe en banlieue sud du côté de Vitry et Choisy. Après la Libération, le déclin des italiens de Nogent prend place avec des bals traditionnels qui disparaissent peu à peu. La croissance économique permet aux italiens d’envisager l’achat de maisons dans les environs laissant le centre de la ville. En 1968, seulement 2% des italiens vivent encore au centre.
Ainsi, l’immigration italienne détermine en grande partie la ville actuelle de Nogent-Sur-Marne que l’on peut découvrir davantage à travers des balades urbaines retraçant l’histoire de Cavanna et des Italiens de Nogent. Ces dernières sont proposées par le service des archives de la ville.